vendredi 26 octobre 2012

King Tubby

Comment parler de dub sans évoquer King Tubby ? Le jamaïcain, mythique ingénieur du son, père du remix et pionner du dub, et une légende dans son pays mais aussi une figure incontournable de la musique de ces 50 dernières années.


Retour sur le parcours d’une légende.

Osbourne Ruddock voit le jour le 28 Janvier 1941 à Kingston, en Jamaïque. Le jeune Osbourne, surnommé  « Tubby » par sa mère Thelma, se passionne vite pour ce qui tourne autour de l’électronique. Un des ses passe-temps favori consiste à démonter et remonter tout ce qui lui tombe sous la main.


La jeunesse du futur « King Tubby » est marquée par le développement des sounds-system dans les ghettos de Kingston puis dans toute la Jamaïque. Les DJs jouent alors les titres ska et rocksteady en vogue à l’époque. Mais les conditions climatiques locales (chaleur, humidité) et la forte rivalité entre sound-systems, source de nombreux sabotages, contribuent à fortement diminuer la durée de vie du matériel des DJs.

 C’est tout naturellement que  Tubby devient réparateur de radios. La demande affluant sans cesse, le jeune mécanicien ouvre son magasin de réparation électronique, sur Drumalie Avenue à Kingston.


King Tubby
Grand amateur de jazz, le jeune Tubby est en contact permanent avec la scène musicale et les soundsystems. Il commence à s’intéresser à l’aspect artistique et au potentiel musical de toutes les machines qu’il a l’habitude de manipuler. Au début des années 60, Tubby élabore  son propre poste de radio et émet même sa propre (et éphémère) radio pirate, la Tubby’s Radio Station.

Mais c’est avec la création de son propre sound-system, le Tubby’s Homestown Hi-Fi, que Tubby assoit définitivement sa réputation musicale. La qualité du son, les sorties exclusives et la maitrise d’effets sonores révolutionnaires pour l’époque (réverbération, écho, phaser, amplification) sur les différentes pistes en font rapidement un des sound-sytems les plus courus de tout Kingston.

Les années qui vont suivre vont  marquer définitivement l’histoire du dub. En 1967, le DJ star Rudolph « Rudy » Redwood, du sound-system Supreme Ruler Of Sound, diffuse pour la première fois un morceau de reggae en version instrumental lors d’une dance. Cette « surprise » est accueillie très chaleureusement par une foule très enthousiaste qui en redemande sans cesse.

Mais cette innovation est en réalité  due à  un problème technique : les pistes vocales du morceau on été supprimées à cause  d’une erreur lors de la gravure du disque par l’ingénieur du son, un certain Byron Smith, qui oublie de connecter la piste voix d’un morceau des Paragons au mix du dubplate.
Tubby prend connaissance de ce succès et commence à réaliser des expériences sur les pistes instrumentales  des tubes reggae de l‘époque.

Grace à Rudy Redwood, il fait la rencontre du légendaire producteur Duke Reid, figure majeure de la musique jamaïcaine de l’époque et directeur du label Treasure Isle. Reid embauche alors Tubby en tant qu’ingénieur du son. Sa mission est alors de produire différentes versions instrumentales des morceaux du label pour les sound systems, tout en  y incorporant les fameux effets sonores qui ont fait sa réputation : le remix vient de naitre.

Par la suite, la vague dub envahit toute la Jamaïque. Une concurrence féroce s’établit peu à peu  entre les studios, sound-systems et autres  producteurs qui se mettent tous à proposer leurs versions dub des tubes du moment. La plupart des 45 tours de reggae intègrent désormais une face B dub, souvent mixée par un Tubby de plus en plus sollicité. L’arrivée des magnétophones enregistreurs 4 pistes sur l’ile va accroitre encore plus les possibilités des producteurs et finir d’établir le dub comme un courant majeur. Sorti en 1970, The Undertaker de Derrick Harriot and the Crytallistes devient le premier album de reggae entièrement instrumental.

Tubby devient alors une véritable célébrité dans son pays. Sa connaissance poussée de l’électronique musicale vont lui permettre de créer son propre studio à Waterhouse, qui devient vite un lieu de rendez-vous des figures majeures de mouvement dub. Le « Dubmaster » va  continuer de perfectionner son son en jouant avec la table de mixage comme d’un instrument en modifiant les différentes pistes du mix tout au long du morceau. Grâce à l’acquisition d’un enregistreur table de mixage 4 pistes chez Dynamics Studio, Tubby va mettre en point une innovation majeure : le « big knob », un filtre multifonctions qui va contrôler les paramètres EQ des différentes pistes du mix.



Il entame au début des années 70 une longue série de collaborations, qui vont contribuer à faire sa légende et à diffuser le dub de manière durable. Il travaille notamment avec Bunny Lee ou encore avec l’icône Lee Perry, avec lequel il réalise l’album Blackboard Jungle en 1973.

L’oeuvre de Tubby se caractérise d’abord par la manière d’enregistrer : la plupart de ses mix était enregistrés en live, donnant un coté unique et « sauvage » à chacun de ses mixs ; amplifiés par des effets inattendus et parfaitement maitrisés. L’ album le plus connu de King Tubby, « King Tubby’ Meets Rockers Uptown », sort en 1976.


Sous l’influence de Tubby, de nouveaux producteurs vont émerger : tout d’abord Lloyd James a.k.a Prince Jammy,  inventeur du « sleng teng », premier riddim entièrement digital à l’origine du dancehall, mais aussi  Overton « The Scientist » Brown de Studio One, qui va officier en tant que ingénieur du son attitré d’un Tubby plus occupé à superviser ses nouveaux talents plutôt que de produire réellement.

Le début des années 1980 est marqué par la construction d’un tout nouveau studio (le Hometown Hi-fi fut détruit par la police quelques années auparavant). Déjà considéré comme une légende bien au delà du milieu musical, King Tubby cherche désormais à promouvoir des nouveaux talents et à développer toujours plus la qualité de sa production. Sous l’exposition du « Dubmaster », les poulains de Tubby comme Anthony « Red » Rose ou Isiah Mentor et son « Fire House Crew » connaissent un fort succès.

Le 6 février 1989, King Tubby est sauvagement abattu alors qu’il sortait de chez lui, au 85 Sherlock Crescent près de Duhaney Park. L’enquête, qui n’aboutira jamais, fait état d’un vol qui a mal tourné. Le principal suspect meurt  assassiné par la police quelques années plus tard dans des circonstances douteuses.

L’héritage de King Tubby est énorme. Au-delà de des artistes avec lesquels il a pu travailler, lancer ou influencer, et qui ont contribué à bouleverser la scène musicale jamaïcaine, le travail de Tubby est directement lié à l’émergence des nouveaux courants musicaux, du rap au dubstep en passant par la pop.

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